Je vous écris depuis le bureau de vote smartphone…
Quand on s’intéresse aux élections à venir et qu’on part « butiner » sur l’intranet ou sur Chlorofil, on tombe sur un article intitulé « Élections professionnelles au MASA : le changement, c’est dans six mois ! ». On apprend que le scrutin de décembre 2022, « représente un enjeu de démocratie sociale » et qu’il va faire naître de « nouvelles instances de dialogue social ». Elle est pas belle la vie au Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire ? Démocratie, social, dialogue… N’en jetez plus ! La coupe de la novlangue managériale est pleine.
Allez, on se bouche le nez, on retient sa respiration et on plonge en eaux troubles, dans une douteuse logorrhée ministérielle. On va essayer de comprendre pourquoi, selon l’administration, l’élection de ces nouvelles instances va donner naissance à un «dialogue social plus stratégique » [soit dit en passant, méfions-nous des acrobates du langage qui pratiquent de telles associations de mots]. Que les casseurs du service public, en costards et tailleurs, aient une vision stratégique, on n’en doute pas. Par contre, qu’ils pratiquent le dialogue social, ça nous laisse songeur. Ne prenons qu’un exemple, les CAP (Commissions Administratives Paritaires) qui vont finir d’être démolies par nos sauvageon·ne·s du ministère : on n’y discute déjà plus de mutation ni de mobilité, mais en plus elles vont être réduite à 6 au lieu de 19… Pas de doute, le dialogue social sera plus apaisé puisqu’il ne concerne plus que notre hiérarchie et que les organisations syndicales sont, de facto, écartées.
On nous annonce également, sans complexe, que nous, les 39 000 électeurs et électrices du MASA, allons voter « sur la base de données électorales fiabilisées, dans un cadre accessible et sécurisé ». Et là, franchement, on se demande qui a pu pondre une énormité pareille ! Qui, aujourd’hui, peut oser parler de fiabilité, accessibilité et sécurité, pour un scrutin électronique ? Nous ne sommes pas amnésiques, nous nous souvenons toutes et tous de ces élections, notamment pour les présidentielles de 2000 aux États-Unis, lesquelles opposaient le candidat G. W. Bush à Al Gore, entachées par des fraudes massives. Qui plus est, quand un·e technocrate du MASA nous parle de « fiabilité », on a juste à pointer la « réussite » des élections tests en juillet. Les nombreux couacs qui se sont accumulés ne sont pas de nature à nous rassurer sur ces trois points.
En tout cas, à SUD Rural Territoires, ce scrutin nous interpelle et nous fait débattre. Les échanges sont riches, nombreux sont nos adhérents qui partagent leurs interrogations et leurs craintes. Citons les mots, si justes, de ce camarade qui se demande « comment résister à cette société dans laquelle il faut sortir à tout bout de champ son mot de passe avec une majuscule, 8 caractères minimum dont un spécial »… Tandis qu’un autre s’interroge : « Pourquoi passer au vote électronique ? Depuis quand l’accès au droit de vote est-il conditionné à la détention d’un smartphone et d’une adresse électronique ? Quelle garantie a-t-on sur la transparence et la valeur des résultats de cette élection ? »
Soyons réalistes, toute élection, même « physique », peut être entachée de fraudes et d’irrégularités. Mais avec le vote électronique, d’autres menaces planent sur le scrutin de décembre : l’opacité liée à l’utilisation de l’outil informatique ; la vérification humaine du comptage des voix impossible… Dès lors, une fraude massive devient possible, en tout cas indétectable pour les électeurs et les scrutateurs.
Nous devons faire aveuglément confiance à un expert en sécurité informatique qui nous garantit que le système respecte « la sincérité des opérations électorales, l’accès au vote de tous les électeurs, le secret du scrutin, l’anonymat du vote, l’intégrité des suffrages exprimés, la surveillance effective du scrutin, la possibilité de contrôle a posteriori par le juge de l’élection » (un juge expert en sécurité informatique, alors ?)
Par ailleurs, l’exclusion d’agent·e·s pour des raisons technologiques, comme la possession d’un smartphone, pose le problème du principe fondamental d’égalité.
En bref, le scrutin de décembre est très « orwellien ». Pour cette raison, certain·e·s envisagent de le boycotter. Pour légitime qu’il puisse paraître, le boycott représente le risque de voir des syndicats dits « réformistes », tout à fait favorables aux « innovations » de ce genre, gagner en représentativité, ce qui réduirait encore le maigre pouvoir de résistance des syndicats de lutte et de transformation sociale.
D’autres participeront, non pas pour cautionner les modalités et l’organisation de cette élection, mais pour donner leur voix à des camarades de confiance, afin d’organiser collectivement la résistance. Dans tous les cas, les réflexions et échanges au sujet de ces élections prouvent, une fois encore, que le débat d’idées n’est pas une expression vide de sens à SUD Rural Territoires.